Je me sers une deuxième portion d’œufs au lards. J’ai beau dire que le luxe qui m’entoure m’étouffe comme si je me trouvais dans une bulle sans oxygène, je n’en perds néanmoins pas l’appétit. Et quels plats ! Pour un simple petits déjeuners, s’offrent à nous des quantités faramineuses de toasts, boissons chaudes, fruits, pâtisseries, et autres mets qui me sont inconnus. D’ailleurs, profiter de la (bonne) nourriture tant que je le peux ne peut pas me faire de mal. Être en pleine forme est un plus considérable, quand l’on sait que l’on va être plongé dans un environnement inconnu, avec peu de vivres.

Ploc, ploc.

Quel est cette petite musique ? La mélodie de tartines beurrées dans du chocolat chaud, bien sur. La mousse blanche au-dessus du liquide bruns tourne un moment avant de s’enfoncer pour réapparaître quelques minutes plus tard. L’odeur du chocolat s’envole de ses ailes invisibles, répandant une atmosphère douce et sucrée partout autour d’elle. Une agréable chaleur s’empare de mon corps fragile de petite fille ; je me sens emporter loin de cette salle à manger, je me sens courir vers des paysages inconnus et exotiques. Les repas sont très importants, hormis le fait de reprendre des forces, ils permettent de ce détendre. Être détendue est primordiale.

Pendant ce temps, j’en ai conscience, j’ignore ce qu’il se passe autour de moi, mais ce n’est pas bien grave. Rien qu’aux voix et aux rires qui me parviennent, je devine sans mal que l’humeur est bonne. Tout en contemplant ma tasse qui se vide au fur et à mesure, je crois comprendre, vaguement, que l’entraînement commence aujourd’hui. Tant mieux. Je commençais furieusement à m’ennuyer, ici, dans cet étage ou il n’y a rien à faire à part s’empiffrer. Evidemment, je sais manier les armes de bases, mais apprendre quelques trucs sur les plantes sylvestres et exotiques ne me ferais pas de mal ; enfin si j’ai le temps. Car l’essentiel, et je le sais, sera d’examiner chaque tributs. Je veux d’hors et déjà connaître leurs points faibles et leurs points forts.

D’un pas léger, je me lève. La femme niaise que j’avais déjà eu l’honneur (ou le malheur) de rencontrer, m’indique qu’il faudra que je sois prête dans deux heures, et surtout, que je ne sois pas en retard ! J’hoche la tête et referme la porte derrière moi, en ravalant un rire bref. Que ces personnes sont ennuyeuses ! J’espère faire des rencontres plus utiles, car pour le moment, j’ai bien peur de m’ennuyer encore plus que chez moi. Il n’y a même pas la mer ici, franchement…

Ne voulant pas m’étaler sur mon lit comme je le fais depuis mon arrivée, je décide d’arpenter un peu le couloir de notre étage. Rien ne vaut une petite marche pour s’échauffer avant le maniement d’une arme quelconque. J’en profite pour admirer d’un peu plus près les ornements des murs. Des tableaux colorés, des tapisseries dorées, des bijoux dissimulés un peu partout. Décidément, les Capitoliens n’ont aucuns goûts décoratifs. Tout est si pompeux et pédant. On voit de suite qu’il n’ont pas la chance de connaître la nature, si non, ils auraient eu l’idée de rendre l’atmosphère un peu plus fraîche.

Boum.

Je suis rentrée dans quelque chose ou quelqu’un. Mince. Lentement, je lève les yeux ; un garçon, bien plus grand et plus âgé me fait fasse ; il a l’air aussi étonné que moi. En plongeant mes yeux dans les siens, je comprends de suite que ce jeune homme est mon compagnon de district et, forcément, le garçon avec qui j’ai partagé mon char hier.

« Excuse moi, je me baladais sans faire attention. Je croyais le couloir désert. »

« Moi aussi désolé, je t'ai pas fais mal ? »

En entendant sa réponse, je comprends alors une chose qui m'avait, pour ainsi dire, échappé. Plus loin que je me souvienne, je n'ai jamais, au grand jamais entendu la voix de ce jeune homme, qui, il me semble, se prénomme Chandler. Étrange pour deux personnes étant sensées venir du même district, n'est-il pas ? En tout cas, son timbre s'accorde parfaitement avec son physique ; virile. Cela ne m'étonne guère, après tout, un homme qui vous sort une voix angélique dés le réveil ne doit pas courir les rues si vous voulez mon avis.

En réfléchissant à une éventuelle réponse à sa question, mes pupilles se posent sur ses habits. Un pantalon de soie rouge et un Marcel jaune poussin. Si on ajoute cela à sa coupe plus ou moins... matinale, on peut en conclure aisément que mon cher compagnon de district n'est pas pressé, ou bien, est à la bourre. Il a bien raison, au fond. Son attitude prouve qu'il n’appréhende pas le moins du monde les Hunger Games, et c'est bien pour lui.

« Non, ne t'en fais pas, va. Je suis plus solide que ce que l'on pourrait croire », je répond d'un ton léger, avant de reprendre ma petite visite.

Je fais quelques pas, puis, au dernier moment, je me retourne. C'est vrai que je devrais peut-être le prévenir... enfin... je crois. Alors je reprends la parole paisiblement :

« Hey, attends ! Tu dois sans doute t'en douter, mais tu es un soupçons en retard... Je te conseille de t'excuser auprès de l'organisatrice ; tu sais, la femme aux cheveux orange et bleu ? N'hésite pas à en faire trop, elle m'a l'air à cran sur les bonnes manières et les horaires. C'est sur qu'avec les entraînements qui commencent dans deux heures, elle doit s'inquiéter la pauvre. Bref, libre à toi de faire comme tu le sens, mais cette femme ne m'a vraisemblablement pas l'air commode. Mieux vos se plier à ses règles, si tu veux mon avis. »

Après ses quelques paroles préventives, je me recoiffe d'un geste de la main et m'appuie contre le mur. Finalement, je crois que je vais attendre ici un petit moment, simplement pour voir comment il s'en sort. Non, non, je n'en fais pas trop, je vous assure. Je doute fortement qu'il revienne dans ce couloir vivant après avoir passé la porte. Cette fausse niaise aux yeux un peu fous, et au style complètement dérangé ne m'a pas l'air net une seule seconde. Elle est ce genre de femme à vous pousser une gueulante pour un rien d'une voix sur aiguë qui vous brise les tympans en une seule écoute. Quoique avec un grand gaillard comme celui-là pour interlocuteur, il faut avoir un sacré culot pour oser s'énerver de bon matin.

Les mâles sont très lunatiques au réveil...

Je pensais bien que Chandler était le genre de garçon à ne pas apprécier les conseils, et j'avais bien raison. La preuve, il fronce les sourcils, et s'en retourne vers la porte sans dire mots. Aï, j'ai bien peur qu'il ne sache pas ce qui l'attende, le pauvre. Je suis consciente que penser "le pauvre" d'une personne qui sera votre ennemi tôt ou tard peut être incompréhensible, voir outrageux. Mais je vous assure, que cette femme fait vraiment peur. Je ne souhaiterais à quiconque, même pas à la personne la plus effroyable de l'univers, de se retrouver face à elle. Enfin, je suppose qu'il s'apercevra bien vite que je ne me moquais pas de lui, bien au contraire. Quoique, après l'avoir bien sondé, je doute qu'il admette un jour ses tords. Il me parait bien fier ce jeune homme.

Chandler ouvre la porte.

Attention, irruption volcanique dans trois secondes.

Un. Il fait quelques pas dans la salle. Deux. Il commence à refermer la porte de la salle derrière lui ; je ne le vois plus. Trois...

"Chandler ! Bonjour !"

Quelle voix ! Mais quelle voix ! Comment un son aussi puissant peut-il sortir de la bouche d'une femme si petite ? Je suis désolée pour elle... j'ai bien peur qu'elle se soit trompée de métier. Avec une telle voix, c'est chanteuse d'opéra qu'elle aurait du faire. Et, entre nous, cela aurait arrangé bien des choses. Car cette femme à un sacré don pour m’énerver ; je n'exagère pas. Elle est d'un antipathique...

"Comment expliquez-vous votre retard ?! Les entraînements commencent dans 2 heures ! Vous êtes en retard !"

Une (courte) pose.

"Allez vous vêtir ! soyez prêt pour les entraînements ! Chandler je vous prie de vous hâtez"

Impressionnant... Quel souffle ! Quel assurance ! Elle est entrain de réveiller tout le bâtiment à mon avis. Tout le monde doit l'entendre des étages et des étages au-dessus et en-dessous de nous. Je me demande si elle connaît le sentiment que l'on appelle souvent "honte". Si ce n'est pas le cas, elle ferait mieux de prendre son dictionnaire. Elle apprendrait un tas de choses, je vous le garantis. D'ailleurs, ce n'est pas l'envie qui me manque d'aller de ce pas le lui demander.

Aussitôt, Chandler réapparaît, l'air de mauvaise humeur. Je le regarde sans expression particulière, avant d'entrer dans la salle à manger. Je suis peut-être folle, mais je ne peux résister à la tentation de tester en direct le caractère irascible de cette pauvre dinde multicolore.

"Re-bonjour madame , dis-je en chantant presque, je me deman...

- Eycko, ne vous avais-je pas dit de vous préparer ? Décidément, cette année, j'ai récolté de vrais irresponsables.

- Je ne dis pas le contraire. Je me demandais simplement si le nom masculin "honte", ou l'adjectif "honteux" faisaient partis de votre vocabulaire, qui, je n'en doute pas, doit être variés.

- Et bien, déclare-t-elle d'un air bizarre, bien sur que oui ! Vous avez de drôles de questions mademoiselle Evening. Pourrais-je savoir la raison de cette interrogation ?

- Oui, justement. N'aviez-vous jamais songeais à raccrocher l'un de ces mots à votre comportement ?"

Finalement... J'ai l'impression que cette femme soufre d'un profond trouble nerveux, intraitable. Car dés les dernières paroles prononcées, je me retrouve à la porte. Quant à la femme... écoutez... elle crie, crie, crie et crie sans interruptions, priant pour que plus jamais le bon dieu ne lui sorte des tributs pareils.

Je me tourne vers Chandler, encore présent.

"Tu sais quoi ? Je crois que si on a de la chance, cet animal de ferme mourra d'une crise cardiaque avant que nous soyons jetés dans l'arène. Bref, à tout à l'heure."

Je m'éloigne alors, songeant pour la première fois, que, peut-être, lui et moi pourrions nous allier. Du moins, pour la première étape des jeux ; le bain de sang. Pas que je compte beaucoup faire d'alliances. Je préfère agir en solo, mais parfois, agir à plusieurs peut se révéler utile. Nous verrons bien. Je lui en toucherai peut-être deux mots pendant l'entraînement.