Je venais de sortir de la grotte avec Ayleen, mon sac sur le dos. Et je me rendais soudainement compte que Swan n'était pas là, à nous attendre à la sortie. Je l'avais pourtant vu à l'entrée de la grotte avant de partir à la recherche de la petite. Putain. Elle n'était pas restée bloquée quand même ? Je me mis soudainement à espérer qu'elle se soit barrée en ne nous ayant pas vu arriver plus vite... Oui. C'était certainement ça ! Ça ne pouvait être que ça. Je tentais vainement de me rassurer. Il fallait que je me calme. Je larguais mon sac au sol. La nuit était toujours aussi noire. Partir dans une pénombre pareille était illogique. En même temps, avouez que Swan et la logique, à bien y réfléchir... Ça faisait deux. Après quelques tergiversations personnelles, je me résignais. Soit elle nous avait abandonnées moi et Ayleen, soit elle était restée coincée là-dessous. Je ne pouvais rien faire de plus. Je devais maintenant me concentrer sur ma propre survie.

Je repris une apparence sereine extérieurement. Il ne fallait pas inquiéter la fillette plus qu'elle ne l'était déjà. J'espérais pouvoir lui servir de figure rassurante, mais je n'y croyais pas trop. Au moins, j'aurais essayé hein. Bref. Il fallait qu'on se repose pour le lendemain. C'était triste à dire, néanmoins avec ou sans Swan, nous étions dans l'obligation de continuer. Je voulais vivre. Et c'était peut-être égoïste de ma part, mais au fond, j'étais bien contente de ne pas avoir à la tuer... Cette tête blonde. Je crois que je n'en aurais probablement jamais été capable. Inspiration, expiration, inspiration, expiration. Calme. Zen. Je reprenais petit à petit le contrôle de mon corps et de mon esprit. Je me décidais finalement à prendre la parole. « On va devoir passer la nuit là. Il est trop tard pour chercher un autre endroit. » Je préférais ne pas m'avancer au sujet de Swan... Pas tout de suite du moins. J'omettais donc volontairement le sujet. J'espérais qu'Ayleen lâcherait tout aussi rapidement le morceau.

Je m'asseyais sur un rocher qui trainait dans le coin puis soupirais de manière carrément pas élégante. Nous étions revenues à notre point de départ : ces foutues marécages nauséabondes. Encore pire : sans Swan, les tours de garde seraient interminables. Je maudissais intérieurement le Capitole. « Il faut dormir maintenant. Pour ce soir, je prendrai le tour de garde de Swan. » J'essayais de la préserver, parce qu'il faudrait bien qu'on se nourrisse un jour. Et honnêtement, c'était la plus à même de nous rapporter un truc dans l'assiette. Nous allions devoir faire machine arrière vers les îlots. C'était l'endroit le plus sûr. Tout le monde avait une peur bleue de l'image du tribut quatre sanguinaire et indomptable dans l'eau. Et à moins que les deux autres carrières ne s'allient, je les voyais difficilement tenter leur chance. Alors certes, Ayleen n'avait rien de cette "vision" là, mais tant qu'ils n'en savaient rien on pouvait toujours jouer sur cette carte-ci. D'autant plus qu'avec une étendue d'eau pareille, il serait aberrant qu'elle ne réussisse pas à pêcher quelque chose. Mais la journée avait été longue (plus particulièrement la soirée d'ailleurs), j'allais attendre demain pour lui annoncer la "bonne" nouvelle. Inutile de lui saper encore plus le moral. Retraverser ces marécages ENTIÈREMENT ô joie.

Et voila. Ce qui devait arriver arriva : elle commençait à pleurer. Parfait. Je levais les yeux au ciel. Qu'avais-je donc fait pour mériter ça ? Ma patience était définitivement mise à rude épreuve depuis le début des jeux. Entre Swan et ses tremblements de droguée intempestifs, doublé de sa disparition, et Ayleen, muette comme une carpe et probablement incapable de tuer une mouche... Ça me faisait une belle jambe quoi. Mais maintenant que je m'étais relativement attachée à cette petite chose fragile, j'étais tiraillée entre "lui planter ma fourchette dans le crâne et me débrouiller seule" et "continuer de prendre soins de la seule alliée qu'il me restait comme (ça me saignait de le dire) mon cœur me le dictait". J'étais à deux doigts de m'arracher les cheveux. Néanmoins, mon moi extérieur restait plutôt serein. Moins que d'habitude, certes, mais je refusais de céder à la panique. Ça ne ferait que nous perdre encore un peu plus.

Alors que je m'apprêtais à prendre la parole, l'hymne du panem retentit. Les visages des défunts s'affichèrent. Le plutôt. Puisqu'il n'y avait eu qu'un mort visiblement. Ça ne pouvait dire qu'une chose... Swan était en vie. Le tout était de savoir si elle se trouvait au dessus ou en dessous de l'arène. Après quelques minutes d'un silence de plomb, je pris la parole. J'avais cherché minutieusement mes mots, assise là, sur mon rocher. Malgré l'affichage des défunts, la donne n'avait pas changée : soit Swan était dans les décombres et était vouée à mourir quoi qu'il advienne, soit elle avait fui, nous laissant seule moi et Ayleen. L'annonce de sa "non mort" me mit tout de même du baume au cœur. « Écoute Ayleen... » Commençais-je d'un ton très calme, voire qui se voulait rassurant. « Swan est partie. » Je restais vague dans mes explications. Inutile de parler trop crument. D'autant plus que ce n'était pas du tout mon genre. « Il est trop tard pour la chercher. Il fait nuit noire et on ne fera que gaspiller nos forces inutilement. » Je comprenais maintenant la peine de mes sœurs lorsqu'elles avaient eu à m'annoncer la mort de mes parents. « Tu sais... Swan est une fille forte. Elle pourra se débrouiller seule cette nuit, j'en suis persuadée. Je te promets qu'on partira à sa recherche dès demain, mais en attendant, il faut dormir. Exténuées, on ne lui sera d'aucune aide. » Heureusement que je n'avais pas perdu mon talent pour le mensonge en route. J'allais devoir redoubler d'ingéniosité pour qu'Ayleen daigne bouger jusqu'aux îlots sans vouloir partir à la recherche de Swan toutes les dix secondes. Je soupirais. Demain allait définitivement être une longue journée.

J'espérais qu'elle allait lâcher le morceau avec ce petit discours... Et surtout que je n'allais pas devoir me mettre aux câlins pour la faire cesser de pleurer. Je n'avais jamais été quelqu'un de très démonstratif. Ni de très tactile. Sauf avec mes sœurs, mais c'était une autre histoire. Je lui offris un sourire chaleureux et apaisant. « Dors maintenant. Et ne t'inquiète pas pour moi, tout ira bien. J'ai l'habitude de veiller. » Je me demandais combien de temps j'allais pouvoir tenir à un rythme aussi effréné. Pour l'instant, ça allait... Mais je me voyais difficilement passer une semaine de la sorte, à marcher toute la journée et à scruter l'horizon une bonne partie de la nuit. En même temps, la peur de se faire attaquer le soir m'empêchait de dormir sur mes deux oreilles. La grotte m'avait donné un soupçon d'espoir, mais apparemment, le Capitole avait le don de faire des blagues de mauvais goût. Il ne restait plus qu'à espérer que tout se termine rapidement.