Nous venions, nous autres tributs, à peine d'arriver au Capitol, que celui-ci commençait déjà à m'étouffer. Trop de lumière, trop de dorures, trop d'accessoires. Cet environnement de luxe sortit tout droit d'un rêve, ce lieu trop chaud, trop vaste, trop synthétique, me montait à la tête. La mer, ma mer, me manquait. Les vagues se brisant sur les rochers en un va et vient incessant, l'odeur de sel près des plages de sables fins, la texture des filets, le frétillement des poissons argentés, le chant des oiseaux et le cri aigu du vent, tout cela me manquait terriblement. Je m'étais moi même punie en me privant de tous ce que j'aimais le plus au monde.

Mais j'avais du faire un choix. L'ennui me gagnait de jour en jour chez moi. Je n'en pouvait plus, je voulais du changement. J'ai eu ce que je voulais. Je me suis portée volontaire, et c'est mieux ainsi. Etudier les sentiments humains, les analyser comme personne ne l'a jamais fait jusqu'à maintenant. Tester les réactions de l'Homme, jouer avec son caractère. C'était un rêve. Un rêve qui n'en sera bientôt plus un. Un rêve qui se révélera être une réalité dans peu de temps.

Mes parent ne m'ont pas comprise, je doute que quiconque le puisse un jour. Je me souviens de leur beau discours d'avant Moisson :

"Eycko, tu es trop jeune, tu vas te faire tuer ; carrière ou non, pourquoi vouloir participer et non pas attendre ?"

Evidemment, je n'ais pu leur servir ma véritable explication ; ils n'auraient d'ailleurs pas du me poser de questions. Je suis, et ils le savent, bien plus intelligente qu'eux. Ne pensez pas que je suis prétentieuse, je vous en prie, car ce n'est pas le cas. J'évite simplement de jouer la fausse modeste, car malgré moi, je suis surdouée. C'est comme ça. Néanmoins, parfois, je me dis que vouloir étudier la "race-humaine", si on peut dire, n'est pas une réaction normale et encore moins pour une petite fille de douze ans. Mais qu'est-ce vraiment la normalité, cette notion totalement subjective ? Elle varie selon le point de vu de chacun comme les goûts et les couleurs. Certains préfèrent le salé, d'autres le sucré. Certains aiment le bleu foncé, d'autres le bleu clair.

Perdue dans mes pensées comme à mon habitude, je décide d'aller prendre l'air. S'il y a un toit, mieux vaut en profiter, après tout.

D'ordinaire solitaire, je soupire. Il y a quelqu'un sur le toit. Je la reconnait dés le premier coup d'oeil, c'est une carrière. La petite du district un. Elle ne s'est pas portée volontaire mais a été choisi ; chose rare pour ce district. Au moins, c'est une alliée que je trouve ; enfin alliée... je suppose. Chaque année les tributs du district un, deux et quatre ont pour habitude de s'allier, cette année ne fera certainement pas exception à la règle.

Mary-Alice (il me semble vaguement que c'est ainsi qu'elle se nomme) semble méfiante, et ne m'a visiblement pas aperçue. Dans l'ombre, je m'avance silencieusement jusqu'à elle, remarquant au passage à quel point les étoiles sont belles ce soir.

"Salut, belle soirée, n'est-ce pas ?", je lance timidement avec une méfiance non dissimulée.

Je préfère jouer la carte de la petite fille belle, gentille et toute timide avant d'entrer dans l'arène ; plus longtemps on me sous-estimera, mieux ça vaudra. Evidemment, cette fille à mon âge. Je suppose qu'elle doit se douter que je ne suis pas qu'une simple poupée.

Enfin, voilà. La lune est fière dans le ciel, celui-ci est splendide, piqué d'étoiles de la sorte, et une petite conversation paisible va peut-être débuter. C'est une soirée bien sympathique ; reposante en tout cas.

"Je sais bien."

Après avoir répondu d'une voix tranquille, je m'approche d'elle un peu plus, et m'installe à ses côtés. Elle à l'air pensive, je me demande ce qui lui traverse l'esprit en ce moment même. Enfin, cela n'a pas bien d'importance me diriez-vous. Chacun est libre d'imaginer ce qu'il veut. Si la notion de liberté est bien réel, ce doit-être dans l'inconscient qu'elle prolonge son existence ; car dans le monde qui nous entours, dans Panem, j'ai bien peur qu'elle ait tout simplement péri... Oui, les pensées de chaque être sont toutes différentes et variées ; personne ne peux les entendre, personne ne peux les épier. Réfléchir, oui, réfléchir est peut-être bel et bien la plus belle capacité de l'être humain.

Quand on s'attarde une seconde sur le sujet, on peut également se rendre compte des biens faits de la vie. Bien sur, rien n'est toujours tout rose, mais quand l'on voit, quand l'on sent, quand l'on comprend à quel point la nature à doté l'Homme de qualités incroyables (comme de défauts inimaginables, bien évidemment), une envie de vivre et d'étudier leur comportement, prend racine en votre coeur, jusqu'à vous obséder totalement. D'étudier... et de comprendre encore et toujours plus. La psychologie humaine, la psychologie cette science, cette façon, en quelque sorte, de pratiquer la médecine psychique, est fascinante ; j'en viendrais même à dire enivrante.

Je ne regrette en rien mon volontariat. Je pense à présent que je n'ai pas eu tord, j'en suis persuadée. Une simple fille, une simple rencontre, m'a amené en quelque minute à une réflexion interne des plus intenses. Vous rendez-vous comptes ? Une poignée de phrases partagées, une simple analyse des sentiment qu'elle aurait pu éprouvé en cet instant, et me voilà partit dans un long monologue sur l'esprit, et sur la capacité de l'Homme à réfléchir et à utiliser ses méninges.

J'en tremble d'avance. Quand je pense à l'arène, quand je pense à cette étonnante aventure juste devant moi, alors je frissonne. Je n'ose à peine songer à toutes les choses que je découvriraient alors. De la terreur, sans doute. De la douleur. Mais quelque chose d'autre aussi. Je veux voir l'être humain poussé dans ses derniers retranchements. Voir de quoi il est capable. Comprendre. Je veux comprendre. Tout comprendre.

Soudain, je m'aperçois que je ne suis pas seule. Que quelqu'un repose tout près de moi. Alors je lève les yeux et m'exclame :

" A quoi tu penses ?"

J'ignore si elle répondra, mais je suis bien trop curieuse pour me retenir.

A quoi pensais-je ?

Bonne question, très bonne question même. Je doute que dévoiler le fin fond de ma réflexion me soit bénéfique. Pourquoi ? Tout d'abord, parce que je ne pense pas que ses propos sonnent naturels chez une fille de mon âge. Ensuite, parce que ma tête me sert de journal intime. La plupart de mes pensées, sont selon moi, trop personnelles pour être dévoilées à qui que ce soit. Néanmoins, je ne compte pas mentir pour autant. Je suis bien trop honnête et bien trop fière, aussi, pour m'abaisser à de telles manières.

Que dire alors ?

Et bien, la vérité. La vérité, sans en révéler plus qu'il n'en faut. Car au moment de poser ma question, indiscrète, je dois bien l'avouer, je venais de repartir dans les chemins de l'esprit, empruntant une route plus commune et surtout, moins suspecte. Je songeais à la forme que les juges auraient donné à l'arène cette année. Un long labyrinthe aux multiples secrets ? Un tunnel noir et sombre non à l'abri du moindre danger ? Une mer à l'étrange aspect ? Un univers polaire totalement gelé ?

"J'étais en train d'imaginer une arène banquise, je réponds."

Après ces quelques mots, je plonge à nouveau mon regard dans le ciel piqué d'étoiles dorées. Pas que je ne veuille pas engager une conversation ; car après tout, quand on s'installe à côté d'une personne, la moindre des choses est de lui parler. Non. Seulement, cette fille m'intrigue dans sa façon de s'exprimer un peu... énigmatique. Oh, rien de grave, certes. Mais quelque chose me souffle que dans son attitude se cache une quelconque arrière pensée.

D'accord. Il m'arrive souvent de me tromper dans mes analyses sur les personnes. Mon imagination est grande, très grande. Que cette dernière me joue un tour de me surprendrait pas.

Mais est-ce réellement un effet de mon imagination ? Telle est la question...

Une curiosité intense s'empare de moi à nouveau. Elle gesticule dans mes bras et dans mes jambes. Elle se déplace dans mon ventre et dans mon dos. Une nouvelle fois, je ne puis m'empêcher de demander ce qui me turlupine désagréablement... Cette trop vive spontanéité pourrait me réserver de mauvaises surprise un jour ou l'autre, j'en ai toujours eu conscience. Mais, écoutez... Elle fait partie de moi, et si je l'ignore, je ne pense pas que je le supporterais ; je pars du principe qu'il faut s'assumer en toute circonstance.

Instinctivement, est peut-être également parce que je le souhaite éperdument, je suppose, et surtout, j'espère, que c'est à une future alliance que ma "compagne de toit" réfléchit depuis tout à l'heure, et même, depuis mon arrivée. Evidemment, un dilemme s'insurge alors dans mon pauvre cervelet déjà bien trop surmené.

Lui proposé aussitôt une alliance, pensant que mon hypothèse est juste.
Tourner autour du pot comme un vautour attend la mort d'un animal.

Tant pis. Mieux vos se jeter à l'eau. Je n'ai que faire de m'exprimer en phrases bourrées de sous-entendu. Et je n'ai rien à perdre, à vrai dire. Elle accepte, ou non, rien de plus simple.

Pourquoi vouloir s'allier avec elle ?

Bah parce qu'elle vient du 1 déjà... Ensuite, parce que malgré son âge, j'ai l'impression qu'elle ne manque pas de ressources. Elle m'a l'air futée, et surtout, beaucoup, beaucoup plus encline que moi à ôter la vie, de sang froid.

L'habit ne fait pas le moine comme on dit...

Je me lance ? Bon ok... j'y vais alors.

" Je me demandais un truc. Dans l'arène, seule, je suppose qu'une personne est vite démunie. A plusieurs, du moins au début, ce serait plutôt l'inverse. Surtout en ce qui concerne le bain de sang... Hum, en bref, que dirais-tu d'une petite alliance ? Yep, j'sais bien que c'est brutale comme demande, mais s'attarder sur un amas de détails superflus ne fait pas vraiment partie de mon caractère."

Ah. Ah. Ah.

Voilà que la grenade est lancé. Manque plus à savoir si elle va la dégoupiller, scellant ainsi son destin au mien, ou bien, la renvoyer au loin.

La réponse de Mary-Alice était inattendue. Inattendue, mais elle me plaît. Ce sont des phrases sorties de la bouche spontanément, se sont des phrases qui prouvent une grande franchise. Evidemment, sa question est une nouvelle fois pertinente. J'y avais vaguement réfléchi au par-avant, sans savoir quoi faire dans une pareille situation, néanmoins.

Le point positif, c'est que je suis désormais certaine de la loyauté de cette fille, du moins, pour le moment. Je ne pense pas que ce soit son genre de "planter un couteau dans le dos" comme on dit. Mais sait-on jamais. Pour ma part, je suis bien trop honnête pour m'attaquer à une allié. D'ailleurs si nous nous allions, et que par pur miracle nous nous retrouvions face à face pour la grande finale, je ne saurais quoi faire, je serais probablement complètement perdue.

"Je ne sais pas. Mais nous n'en sommes pas là, pas encore. Le but est de survivre le plus longtemps possible, tu ne crois pas ? Et pour cela, tout les moyens sont bons. Et si, par je ne sais quelle chance ou malchance, nous nous retrouvions toutes les deux à la fin... et bien... pour ne pas perdre la face devant nos amis et notre famille... Il faudra peut-être... tirer au sort. Cela paraît horrible, mais j'ai l'impression que c'est la plus honnête et la plus humaine des solutions..."

Décidément, j'ai de bien drôles d'idées... Je suis bizarre. Tirer au sort la vie et la mort d'une personne...