Un blanc après mes paroles. Ohoh. J’hésite entre repartir en faisant un pas et rester. Mais quand je vois l’expression d’Oz, je me dis que je peux rester. Il a l’air résigné et accepte la critique. Il se tourne vers moi, pousse presque un soupir, me regarde et dit : « Non, non tu ne déranges pas. N’aie pas peur, je ne te ferais aucun mal. Je m’excuse de mettre montrer aussi cruel avec toi. » Bon. Je l’excuse, il a l’air d’être gentil au fond. Mais un peu brutal quand même. Il reprend la parole, cette fois en observant Kyr.

« Je m’excuse auprès de toi aussi, mais tu sais si je réagis comme cela, c’est par instinct. J’ai vécu toute ma vie comme ça. Mais je me rends compte que je suis un monstre… je ne comprends pas pourquoi tu ne m’as pas planté mon trident dans le cœur… je ne sais plus qui ou ce que je suis. Je suis perdu. Je…je n’ai même plus envie de me battre contre Edgar. » Edgar ? J’ai bien entendu Edgar ? LE Edgar ? Oh non. Ils veulent le tuer ? Mais, mais c’est impossible ! Je ne sais même pas comment j’ai fait pour m’en sortir. Rien que d’entendre son nom, je blanchis. C’est bien qu’il n’ai plus envie de le tuer. Parce que je pense qu’il manquerait à Kyr. Qui a l’air d’être gentil. D’ailleurs, mon regard se retourne vers lui. Il a les yeux recouverts d’un voile blanc. Les larmes qu’il retient les rendent brillants. Il est triste et pense à autre chose. Je vois sa main se serrer.

Et Oz reprend la parole : « Bon écoutez, il faut qu’on bouge d’ici. Shandris je ne sais pas quelles sont tes intentions, mais si tu viens dans le but de t’allier avec nous et bien tu peux te joindre à nous. Mais par contre je ne peux pas me battre pour trois personnes. Si tu veux te battre et bien je combattrai contre toi. » Là, je m’affole. Il voudrait me tuer ? Je fais un pas en arrière, en me protégeant avec ma main et en secouant la tête de gauche à droite. Mais c’est Kyr qui sort un mot tout simple et empli des larmes qu’il a contenu : « Non… ». Il est toujours dans le vague, mais ce mot lui, est bien ancré dans le présent. Puis son voile sur les yeux disparaît, il reprend pied sur l’instant présent. Il déglutit et reprend une voix plus normale : « Je pourrais rester avec Shandris pendant que toi et Elijah allez vers Edgar. À deux, on sera plus forts qu'à un... » Elijah ? C’est qui lui encore ? Mais je fais quoi ici ? Je crois qu’il vient de me proposer une alliance quand même. Il se tourne vers moi et me demande d’ailleurs ce que j’en pense.

Je n’ai pas le temps de répondre, même si je pense être fixée sur ma réponse : un grand gars apparaît derrière moi. Je ne sais pas qui c’est. Il me toise d’un regard interrogateur. Jette un œil à mon arme au sol. Rigole un peu intérieurement. Sors d’un ton badin quelques mots : « Je ne pensais pas qu’on allait être quatre ce matin… ». Bah. Je pensais pas que je serais avec quelqu’un, moi. Je pensais plutôt me terrer dans un coin. Et disparaître. Loin, loin loin. Sous terre. Mourir. Mais non, je suis là à discuter avec des personnes que je ne connais même pas. Qui vont partir en guerre. Contre une personne, qui a failli me tuer la veille. Qui me terrorise, aussi. Oz reprend la parole et cette fois-ci, s’adresse à tous les trois : « Nous ne serons que deux pour Edgar. Nous allons laisser ces deux la ici. Les présentations attendront plus tard. Kyr et Shandris restez ici… si vous entendez deux booms sauvez-vous sinon restez ici. ».

C’est donc Elijah. Mais comment on pourrait différencier deux booms ? Edgar ferait le même bruit que Oz ou bien l’autre, là. Elijah. Ils font demi tour et partent vers le nord. Un grand silence s’installe. On entend les bruissements des feuilles. J’observe Kyr. On se toise, chacun de notre côté. Je le regarde de bas en haut. Je cherche quelque chose dans ses beaux yeux bleus. Il brise le silence environnant en disant ces quelques mots : « Au fait... est-ce que t'as rencontré quelqu'un avant de moi et Oz? » Lui, il a l’air gentil, comme je l’ai toujours pensé. Beaucoup plus gentils que Oz. Je veux bien me confier à lui. « Heum, j’ai croisé Edgar. Il m’a attaqué. » Toujours avec cette même voix rauque et hésitante. Mais de moins en moins.

Puis je me baisse pour récupérer mon arme, je la met dans mon sac et bute sur le livre. Que je sors.

Je ne sais pas quoi faire. Continuer de lire mon livre ? Engager la conversation avec Kyr ? Je pourrais lui dire quoi… Je reparle depuis très peu de temps et enchaîner des phrases me semble encore assez compliqué. Je n’ai plus envie de laisser tomber le plan de survie. Edgar ne m’a pas tuée, je peux encore avancer un peu. Enfin, jusqu’à la prochaine fois où je le croiserai… Je pense que ce sera la dernière fois que je verrai quelqu’un de vivant. Penser qu’un ami très proche du gentil Kyr va peut-être mourir à ma place bientôt en face de lui me fait peur. Peur parce que ça voudrait dire qu’il viendrait bientôt à la chasse. Et me trouverais, sûrement. Je ne veux plus mourir. Je veux vivre le plus longtemps possible, maintenant. Avoir recouvré mon entière personne est assez déstabilisant, mais ça me rends un peu plus lucide. Survivre est maintenant la seule option à mes yeux. Et je crois que Kyr peut y contribuer.

Il louche bizarrement sur le livre que je tiens à la main. Je m’approche de lui et m’assieds sur le sol. J’ouvre le bouquin à la page où j’en étais resté hier au soir, avant de m’endormir comme une souche sur ma branche. Et de me réveiller le lendemain avec le vertige. En tout cas, je n’ai pas faim. La cuisse de ce matin m’a assez nourrie. Je sais que je ne mange pas beaucoup, mais ça me suffit. Le livre est ouvert sur mes genoux, mais je ne le regarde pas. Kyr est à côté de moi et lui, jette un coup d’œil par-dessus mon épaule. Il a l’air de m’envier. Je souris un peu quand je plonge mon regard dans le sien. L’échange s’éternise, quand soudain il le rompt en prononçant cette phrase : « Shandris... pourquoi tu... tu a choisi de rester? »

Bonne question. Je ne sais pas moi-même. J’aurais pu faire demi-tour, mais je ne savais pas comment Oz réagirait. Je ne veux plus mourir, comme je l’ai déjà dit. Et puis Kyr, lui, m’inspirait confiance. Il me donnait la force de rester. Il n’était pas si timide qu’on pourrait le croire… Sans crier gare, je me mets à pleurer. Les larmes coulent. J’étais si calme pourtant, tout à l’heure… et là, rien ne va plus. Ne me demandez pas pourquoi. Un trop plein, sans doute. Me retrouver après 3 ans de séparation, avoir son passé qui te submerge, c’est déstabilisant. J’étais déjà pas très stable avant mais là… Kyr doit me regarder, se demander ce qui ne va pas chez moi… Je me lève en essuyant mes larmes contre la manche de ma combinaison et vais m’asseoir contre un arbre. Je ne pleure plus, alors je le regarde dans les yeux. Tous seuls, des mots sortent de ma gorge, encore plus rauque que d’habitude : « J’avais besoin de soutien ».

Il avait l’air étonné par ma réponse, et le fait que j’ai pleuré. Ça devait sûrement être déstabilisant. Dans ses yeux, je lis une once de compassion. Comme s’il avait vécu un truc pareil, il y a peu. Je ne saurais dire quoi, ni quand. Il bascule son poids sur ses talons et s’y assied dessus. Une position peu confortable… Il me regarde fixement dans les yeux. Pour l’instant, il ne dit rien, mais les deux billes bleues qui me fixent expriment beaucoup, beaucoup de tristesse. On aurait dit que quelqu’un lui manquait atrocement. Je renifle un coup. Quand il prononce ces mots, sa voix est douce, pleine de compassion. « Et... pourquoi tu en as besoin? »

Je me passe la langue sur les lèvres en attendant de trouver une réponse adaptée. Premièrement, je ne sais pas ce qui m’a poussée à dire ça. C’est vrai, je pense. Aussi parce que ça faisait très longtemps que je n’avais pas parlé et rencontré vraiment quelqu’un. Le contact entre personnes m’avait sûrement manqué. Je ne rêve maintenant que de revoir ma famille. Mais je sais que ce n’est plus possible. IL n’attends pas ma réponse et enchaîne sur une autre phrase : « Tu sais... peut-être qu'en parler va pouvoir t'aider un peu... ».

Il a de nouveaux les yeux embrumés. Ces beaux yeux d’un bleu très clair et remplis de toutes les souffrances du monde. Mais je n’ai pas trop envie de parler de mon passé. De ce que j’ai vécu dans ma petite forêt du 10. de mes parents, de ma famille. C’est du passé, tout ça. Mais soudain, des sifflements résonnent dans la tranquillité de la forêt. Ils se rapprochent, de plus en plus. Je me lève d’un bond, lance un regard effrayé à Kyr. J’attrape mon sac à mes pieds. Je n’ai pas le temps de sortir mon couteau.

Des serpents. Des tonnes et des tonnes de serpents déferlent sur nous. Un piège. Pourquoi je suis arrivée ici ? Pourquoi cette demande de soutien ? J’aurais encore une fois dû m’enfuir… Ils nous foncent dessus. Mon sac s’envole vers mon épaule. Je grimpe à l’arbre derrière moi comme si j’avais le feu aux fesses. Des bestioles me sautent dans les bras. Il en descend d'ici aussi ? Je n'en ai jamais vu dans les arbres... Mes mains crochètent les plus petites prises. Je me faufile entre les serpents, évitant leurs crocs. Je n’ai jamais grimpé aussi vite de ma vie. Jamais dans ma petit forêt j’étais pressée. Je prenais toujours mon temps. Mais là et pour un fois, il faut que je me dépêche. La peur me donne des ailes. Je n’ai jamais croisé autant des serpents de ma vie. Ils m'arrivent face, de dos, de partout ! Ils on été envoyés. J’ai peur qu’ils grimpent derrière moi, qu’un ne me morde au mollet.

Le tronc de ses arbres et trop grand et les premières branches trop hautes… Quand j’arrive à la première, je suis en sueur. Je n'ai même pas le temps d'y faire une pause. Les sifflements stridents des serpents hantent toujours mes oreilles. J’ai peur. Alors je saute de branche en branche en essayant de ne pas tomber. L’équilibre est instable. Des fois, je dérape presque en marchant sur un. J’ai peur d’en rater une, de glisser, de me faire mordre, je ne veux pas m’écraser par terre. Je ne veux plus mourir. On essaye de reporter cette expérience au plus tard possible. Je veux fuir cette jungle. Je veux aller sur la plage, et nager, nager, nager. Je veux me rincer, sentir l’eau sur mon visage et mon corps. ne plus entendre ces bruits de cauchemars.

Quand j’arrive enfin à l’orée de la plage de terre, je respire un grand coup. L’odeur de l’eau me remplit les narines. Ma poussée d’adrénaline descend et quand je dois désescalader le tronc, je perds un peu de ma vitesse. Mes bras me tirent, j’ai mal aux mollets. J’atterris enfin sur le sol et me jette dans l’eau. Et là, je pense que je n'ai pas jeté un seul regard en arrière pour voir si Kyr me suivait. Tout s'est enchaîné si vite...