Et puis on avait bougé encore une fois... Après la nuit bredouille dans le sud, on est revenu sur nos pas, vers la corne d'abondance. Nathan disait que c'était pour mieux se recentrer et trouver d'autres pistes, mais ça m'étonne quand même. Toujours est-il qu'on avait marché une journée pour rien alors qu'il devait en rester dans le sud. Mais bon. Lui faire croire que j'étais d'accord. Pour l'instant. Et pour le détrôner de plus haut plus tard. Il tombera de si bas... Après cette nuit glaciale, je pouvais dire que j'étais bien content d'avoir accepté qu'ils fassent un feu. Mais à peine le soleil fut levé que la chaleur se mit de nouveaux à peser sur mes épaules. Ma veste rejoignit vite fait mon sac de couchage dans mon sac. Je suait à grosses gouttes, encore et toujours. Elle m'humidifiait le dos et descendait jusqu'au haut de mon pantalon. Je me demandais comment j'avais fait pour ne pas avoir froid cette nuit avec autant d'eau sur moi. Là, je bus la moitié ma deuxième bouteille d'eau de 500mL.

Et puis on est enfin arrivés à la corne. J'y ai bouffé une autre dizaine de gâteaux secs et la moitié de mes fruits secs. On ne pouvais pas dire que j'avais trop faim. C'était surtout la soif qui me tenaillait. Je ne pouvais pas finir tout de suite ma bouteille d'eau, il m'en restait tellement peu. Oui, bon. 500mL + ~ 250mL + 1L. C'est pas grand chose, non ? Remarque, par rapport à certains... Bref, on cherchait des empreintes sur le sol. Savoir qui était parti où, quoi. Enfin surtout où étaient partis certains. C'est Loki qui retrouva les premières empreintes dans la Corne. Elles partaient vers le nord et vers l'ouest. On eut une grande discussion où je me retenais de gueuler sur Nathan en sortant ma lame. Mais il fut décidé qu'on aille vers l'ouest. Quand on est repartis, j'ai remarqué que les têtes qu'on avait accroché à des piques étaient toujours là. En route vers le sang !

On avait enfin trouvé les trace et elles continuaient. On les avait suivis quand, au loin, apparu un énorme nuage jaunâtre. Il me faisait penser à de la poussière, ou une explosion. Et ce truc avançait à une vitesse folle ! Ils se sont arrêtés quand mon cri les a avertis. Je ne savais pas vraiment ce que c'était mais c'était tellement rapide que je compris vite qu'il fallait nous trouver un abris. Elle venait du nord, nous allions vers l'ouest, et la corne n'était plus trop loin. C'était la protection idéale contre ce nuage. C'est donc en courant, mon sac virevoltant sur mes épaules, mes pieds frôlant à peine de le sable du sol que je suis parti, sans regarder derrière moi. Autant dire et répéter que je n'en avait rien à foutre qu'ils survivent ou non. J'avais presque envie de crier un ironique : «Qui m'aime me suive !», mais j'étais trop occupé à courir. Je revoyais la scène du démarrage de l'arène avec le bain de sang. Là, on m'offrait la vision des petits tributs affolés. Et moi, je commençait à grave flipper.

Le nuage se rapprochait de plus en plus et moi, je m'épuisait rapidement. Mon souffle était rauque et le sable n'accrochait plus du tout à mes pieds. J'avais beau essayer de courir, par deux fois, je tombais, essayant de me relever. Je ne voulais pas non plus laisser mon sac sur place, pour signer mon arrêt de mort à cause de la faim, de la soif, ou du froid. La corne n'était plus qu'à quelques mètres, je pouvais presque la toucher... Quelques pas juste quelques pas... Et la chaleur ne m'aidait pas, l'effort que je devais fournir puisait jusqu'au fond de toutes mes capacités physiques. Je n'étais pas le gros costaud Black. Non, j'étais le petit blondinet du deux, et ça pendant cette course folle, je m'en suis rendu compte. Me voir exposé à la mort comme ça envoyait une grosse claque à mon ego surdimensionné.

Mais, en secouant un peu la tête, je réussi à franchir les derniers pas qui me séparaient de l'entrée de la corne. M'asseyant sur une caisse, je lâcha mon sac, et vomi tout la bile et les petits morceaux de gâteaux secs que mon estomac contenait. Sans savoir si l'on avait réussi à me suivre, la tempête de sable déferla sur la Corne d'Abondance. Quelques grains de sable pénétrèrent ma bouche, mes oreilles et mon nez car je ne m'étais pas assez enfoncé dedans. Mais c'était tout, et j'étais en vie.

«La peur n'a rien de honteux,
seule compte la manière de l'affronter.»

Un instant, j'étais ailleurs. Dans cet ailleurs je pensait à tout ce que j'avais fait. J'avais pensé. Réfléchi. Prévu. Organisé, décidé, espéré. À toute la vie que j'avais derrière moi. Une vie de monstre. Mais finalement je n'en était pas si peu fier. Je passerais peut-être pour un sans cœur ou une brute épaisse mais là était mon rôle. Et là je me sentais bien. Seulement là. Je suis horrible et alors ? Mon court instant de faiblesse était passé, et j'espérais maintenant que je ne flancherais plus. Mais ce court instant avait suffit à me faire douter de moi, aussi peut soit-ce. Mais le fait était que ma confiance inébranlable venait d'être ébranlée. Et c'était surtout ça qui me faisait peur.

C'est le goût de la bile dans ma bouche qui me ramena sur terre. Mes petits bouts étaient étalés devant moi et semaient à qui voulait les sentir une odeur franchement répugnante. Un truc dégueulasse et complètement ignoble. La tempête dehors s'était apparemment calmée mais restait en l'air des particules de sable. Et en même temps, un coup de canon retenti. Loki ? Nathan ? Le second m'aurait arrangé, mais c'était si lâche... J'avais presque honte de mon comportement. Flanchais-je encore ? Putain, San, reprends toi... T'es un mec ou pas ? Oh ta gueule conscience, je suis nul, je sais. C'est là que j'entendis un bruit qui me glaça le sang. Un chuintement métallique.

Alors comme ça c'était bien Loki qui avait succombé ? J'avais beau le vouloir, mes lèvres n'affichèrent pas le sourire goguenard attendu. Car cela ne voulait dire qu'une seule chose : Black allait m'attaquer. Sans même avoir le temps de me retourner, sa lame me caressa la nuque. Pas d'une douce caresse maternelle, non. Elle, elle dispersa un froid mordant dans toute mon échine. Avait-il tenté de me décapiter ? Je ne pu retenir un glapissement. De douleur. Oui, moi, prêtre du mal et de la souffrance, je venais de goûter à mes sacrifices. Et je comprenais maintenant leurs douleurs. Je sentais le sang chaud couler sur ma nuque, noyant ma plaie. Ce ne devait pas être beau à voir. J'avais l'impression que ma tête allait se détacher. Ce qui était possible, vu l'endroit où le coup avait été porté. Et aussi que mes yeux allait sortir de mes orbites. Je sentais mon heure approcher d'un peu trop près. La seule pensée que j'arrivais à saisir parmi toutes celles qui me traversais l'esprit fut : «Si je pars, ce ne sera pas seul.»

Alors d'un dernier sursaut, j'ai dégainé mon katana en l'envoyant vers le cœur.

«Frapper d'estoc.
Avec le bout pointu.»

«La peur n'a rien de honteux,
seule compte la manière de l'affronter.»

Je lui en voulait de sa lâcheté. De m'avoir attaqué de dos, sans prévenir, comme ça. Il ne méritait pas de gagner ce combat, je ne méritais pas de mourir comme ça. il était peut-être aveuglé par la mort de son ami mais même si j'allais tôt ou tard lui faire un truc du genre, il n'avait pas le droit de faire ça maintenant. Dans mon instant de faiblesse à moi. Si je pouvais lui reconnaître une chose, c'est qu'il avait bien choisi son moment pour m'attaquer. Il avait su saisir la seule -sûrement- occasion de m'achever. Il avait sauté pieds joints. Il n'était même pas loyal. Par contre, ça c'était vraiment vraiment horrible. C'était donc ça de se sentir trahi ?

Et comme je m'y attendais, il évita ma lame. J'étais trop blessé pour réussir à l'atteindre. Je me détestais moi même. Les larmes virent toutes seules quand je me laissai tomber à genoux et que mon katana vint heurter le sol en un bruit métallique. Je baissai la tête m'attendant presque à ce qu'il m'achève, finissant l'œuvre qu'il avait commencé. Mais non, au lieu de cela, quand mes yeux rencontrèrent les siens, à travers un rideau de douleur qui m’obscurcissais le regard je voyais plus de la souffrance et de l'amour dans son regard. Il dit un truc mais je ne saisit pas le sens de ses paroles.

Je sentais mes force m'abandonner en sentant le sang chaud me couler dans le cou. La blessure devait être vraiment importante. Je ne sentais plus la douleur aiguë, lancinante, sourde, glaciale qui me déchirait le dos. Je sentais juste la trahison. Je voyais le peu de sang qui coulait de la plaie minuscule que je lui avait offert. Mes rêves de gloire et de victoires s'envolaient. Mais en puisant dans mes ultimes réserves de force -ou peut-être même pas les miennes, le grand gaillard en face était en pleine santé-, j'ai réussi à sortir un couteau de ma ceinture et de l'envoyer en plein milieu du torse là où il serait le plus dur de l'éviter.

Tout devint noir. Étais-je mort, ou seulement inconscient ? NON ! JE NE VOULAIS PAS MOURIR ! PAS TOUT SEUL ! NATHAN, VIENT PARTAGER MA TOMBE ! S'il te plait... Fais au moins une chose bien pour moi...

«Frapper d'estoc.
Avec le bout pointu.»

«Saches qu'il n'y a qu'un Dieu.
Ce dieu c'est la Mort.
A la Mort on ne dit qu'une chose : "Pas aujourd'hui".»

Mes yeux papillonnaient, et un instant, je repris conscience. Étendu sur le sable, je ne ressemblait plus à grand chose. Ma morgue s'était envolée. Mes cheveux blonds étaient poisseux de sang. J'avais froid, très froid. Le vent qui soufflait maintenant à l'extérieur me glaçai le sang. J'ai vu et entendu de loin Nathan donner un coup de pied à mon katana qui, au final, m'avais peu servi. Il s'est approché doucement de moi, a pris mon pouls et m'a regardé. Ses yeux étaient emplis d'une infinie tristesse. Et d'une pointe de haine. Envers moi ou lui? Je voyais aussi que mon couteau avait atteint sa cible. Puis plus rien.

Dans un nouvel univers noir et sombre commençait à se distinguer au loin une lumière ardente, étincelante. D'un rouge sanglant et morbide mais néanmoins brillant. On m'avait toujours dit que cette lumière était blanche. Mais là, je la voyait écarlate. Allais-je en enfer ? Ou était-ce un paradis différent du mien ?

Une déflagration retentit. Dernière accroche à la vie. Maintenant je suis mort et attiré par cette lumière. Et je flotte vers elle. Ce ne sont pas des pas qui me font avancer. Mais un souffle d'air qui me pousse. Comme un fantôme. Je ne sens plus le sang couler le long de mon dos, ni la douleur. Mais une espèce de douceur immatérielle me caresse les joues, dessinant des sillons. Les fantômes de larmes ? Alors comme ça, on peut pleurer même en étant mort. Et moi il a fallut que j'attende ça pour le faire. Je suis vraiment le dernier des imbéciles...

J'ai peur. J'ai froid. Je frissonne. Et je pense à mon avenir. Une forme humaine se dessine, au loin. Mon futur ? Soit,

«Le vrai courage, ce n'est pas de savoir quand tuer.
C'est de savoir quand épargner.»