Le soleil n’était pas encore couché que je dormais déjà. D’un sommeil très agité et pas du tout reposant. Une lumière dans le ciel me réveille à un moment. Je frissonne. J’ai chaud, j’ai froid. Je ne suis pas bien. Kyr est à côté de moi, je crois. L’eau lèche mes pieds, ce qui me fait encore plus frissonner. Je vois à peine ce qui est affiché dans le ciel. Kyr remue un peu à côté de moi, comme s’il était mal à l’aise. Mais tout ça, je ne le vois pas vraiment. Non, je me sens trop mal pour ça.

Alors, c’était ça ? Finalement, c’était tombé. Sur moi. Bon. J’avais raison. Merde pour la survie. Je savais que je ne pouvais gagner. Même, juste réussir à survivre. J’avais tenu jusqu’au troisième jour, c’était déjà pas mal, non ? Je me rendors comme une masse. Je rêve que je suis dans une pièce blanche, avec un miroir devant moi. Je m’approche, le touche mon reflet de la main. Je suis fascinée par ma main. Par mon reflet, aussi. C’est moi mais avec une différence. Mais je n’arrive à savoir laquelle. Ce simple contact brise le miroir en milles morceaux. Ils tombent à mes pieds dans de grands fracas. Alors, je commence à me craqueler aussi. Je me sépare en plusieurs morceaux. Je crie de douleur, ce qui me réveille en sursaut et en sueur.

Ma tête me fait mal, j’ai l’impression d’avoir un tambour dans la tête. La douleur est insoutenable, j’ai froid et encore chaud, puis encore froid. Dans ma souffrance, je remarque qu’il est encore très tôt. À côté de moi, Kyr dort encore. Je me lève un peu et me dirige vers l’eau. Fiévreusement, j’enlève mes chaussures et met les pieds dans l’eau. Ça me réveille un peu et me fait du bien. Mais pas pour longtemps. Je me rendors comme une masse tout de suite après. Je ne sens même pas ma tête taper contre le sable. Des rêves étranges que je n’ai pas retenus tellement ils m’ont fait peur. Vaguement, je me souviens de personnes en habit rayés noir et blanc de la tête au pied qui te noyait dans un grand tonneau tournant quand tu rentrais dans une grande pièce vitrée.

« -Shandris... Il faut qu'on se déplace. »

Même parvenue de loin, cette phrase me réveille. Je mets un moment à me hisser sur mes fesses. Un moment à comprendre pourquoi il veut qu’on bouge. Un moment pour me dire que je ne peux pas le faire. Pour le voir manger. Et moi, pour me pencher sur le côté et vomir le peu que mon estomac contenait. Le goût de la bile envahit ma bouche. Le fait d’avoir vomit me fait trembler, grelotter, claquer des dents. Déjà qu’à cause de la fièvre, je ne tenait pas mieux…Mes pieds ne touchent plus l’eau. Au loin, je vois les bouées jaunes fluos. Il commence à me soulever. Je tressaillis au contact de sa peau glacée. Il resserre sa prise contre mon bras que j’imagine brûlant. Tout est brumeux autour de moi. Quand j’atteins l’eau gelée, je ne réagis même plus. Il se trémousse, se démène pour me garder à la surface à côté de moi. Je le sens, mais je sais que je ne peux pas l’aider. En chemin, je crois que j’ai vomit.

Quand il me dépose enfin sur le sable tiède, je me rendors. Ou non. En fait, je ne sais même pas si j’ai dormi ou pas. Devant moi, je vois un drôle d’animal très grand tout rose avec de grosses taches vertes. Il a un truc très long sur le front. Quand soudain, il tombe tout d’un coup par terre. Boom.Je revomis. Puis des papillons dansent sur mes paupières. A un moment, je suis sûre que je m’endors. Puis je me réveille en sursaut, me lève et attrape le bras de Kyr en le secouant. Je crie.

« KYR ! LAISSE MOI ICI ! JE VAIS MOURIR ! CREVER ! LA BOUCHE OUVERTE ! COMME ROSE A TACHES VERTES ! »

Puis je retombe par terre.

Dans les vapes. Je flottais au-dessus du sol. Au-dessus du ciel. Je volais parmi les nuages. Je ne me sentais ni bien ni mal. Peut-être que je sentais toujours un peu ma cheville. Mais si peu. En fait, je ne sentais rien. Je ne voyais rien. J’imaginais tout. Mon corps, mon esprit et mon âme faisaient les fous. Je n’étais sûre de rien. Peut-être que ce tunnel avec cette lumière blanche n’était même pas réel. J’avais beau me pincer, essayer de faire quel mouvement que ce soit, je ne savais pas si c’était vraiment moi qui le faisais.

Puis soudainement, je vis une tout autre chose. Une jeune fille toute jeune qui marche pied nu vers une porte blanche. Elle porte une petite robe blanche toute simple. Ses longs cheveux blonds bouclés font comme des ressorts à chaque pas. Sa petite main se pose sur la poignée et elle ouvre enfin la porte. Une lumière blanche étincelante sors de la pièce. Et un vent énorme aussi. L’adolescente qui était toute bien coiffée a les cheveux qui s’envolent. On voit qu’elle aurait amé faire demi-tour. Mais non, elle rentre dans la pièce. Et quand elle aperçoit on ne sait quoi, elle crie enfin.

Je sens mes forces me quitter. Je le sais que je vais mourir. Depuis longtemps, en fait. Depuis qu’Edgar m’a attaquée. Ou même quand il m’a laissée partir tout au début. Je me souviens avoir aperçu au loin ses petits yeux méchants qui lançaient des éclairs. Éclairs qui m’étaient tombés dessus un peu plus tard. Éclairs qui m’avaient quand même permis de me retrouver, même si c’était pour un aussi court laps de temps. Éclairs qui avaient fini pas me tuer, qui étaient tombés plus tard. C’était comme une bombe à retardement. Et maintenant, je subissais. Ils n’étaient pas tombés à la manière à laquelle on le pensait. Pourquoi j’avais choisi la survie ? Je pensais avoir une chance dans ce monde de fous ? Savoir que c’était la nature qui m’avait tuée me rassurait un peu. Oui, car je le savais maintenant. Cette petite douleur à la cheville, ce truc qui paraissait infime. Oui, c’état une piqûre de serpent. Savoir lequel était impossible. Mais l’épée était tombée. Kyr avait survécu. Grand bien lui fasse. Je ne savais même pas où il était.

Trop de questions. Et trop peu de réponses. Pourtant, les morts sont morts et ne pensent pas. Je ne suis peut-être pas encore morte. Mais je suis où alors ? Encore dans l’arène à compter les taches vertes du truc ? C’est la fièvre qui me fait délirer à ce point ? Je ne sais pas par où commencer, finir. Je ne sais pas quand je crèverais pour de bon. Mais je veux mes réponses.

La petite fille m’intrigue. Je ne sais pas qui c’est. Le saurais-je avant de mourir ?

~~~

Le soleil commence à décliner. Lentement, j’ouvre les yeux. Ma tête ne me fait plus mal. Je ne frissonne plus. Je me sens bien là. Le sable est un peu chaud sur ma peau. Mes pieds touchent de nouveau l’eau. Elle est tiède. Je n’avais plus sentis cette température depuis longtemps. Depuis une journée, tout ce que je touchais était froid. Là, je reprend contact avec la chaleur. Je peux me relever, tout doucement. Je fais quelques pas. En direction de la mer. Mon sac a disparu. Je suis seule sur mon petit îlot. Kyr est parti, et avec mon sac. Je ne sais pas si je vais mourir maintenant. Merde. Toutes mes certitudes sont tombées à l’eau. Mais maintenant, j’ai juste… peur. Peur de quoi ?

Je suis sûre que je peux continuer. Par contre, je n’ai plus rien à manger. Je remarque que mon estomac me tire. Ma gorge est sèche. Et il est parti avec mon sac… Je sais d’avance que l’eau de mer n’est pas buvable. Soudain, un coup de canon me fait sursauter. Un mort. Oz a réussi sa mission ? Ou c’est Edgar qui l’a tué ? On verra bien ce soir. Je préfèrerais que ce soit Edgar qui a été tué. Juste par vengeance personnelle. Il ne terrorisera personne de plus. Je me dirige vers l’eau et plonge.

Le contact de l’eau me lave de la maladie. Toute la sueur accumulée s’en va. Je prends soin de me rincer les cheveux qui me collaient à la nuque. Les avoir salés est quand même mieux que poisseux. Je redécouvre le plaisir de la natation. De la vie en même temps. Je suis revenue en direction de la jungle. Je nage en profondeur, sentant l’odeur, le goût du sel dans ma bouche et mon nez. Chaque bulle que je rejette, je l’écoute remonter jusqu’en haut et percer la surface en un bruit parfaitement rassurant. Autour de moi, je n’entends que les remous que produisent mes bras et mes jambes s’agitant pour me faire avancer. J’aurais pu crier tout ce que je voulais, personne ne m’aurait entendu, dans cette immensité noire et sombre, pourtant si accueillante quand on savait bien la caresser. Je me sentais tellement à l’aise que j’oubliais presque de remonter pour reprendre mon souffle. En battant du maximum des jambes, les bras collés à mon corps pour ne pas gêner mon ascension et soufflant ce qui me reste d’air dans les poumons pour éviter qu’ils se remplissent d’eau. Je regarde en haut, et aperçoit la lumière que filtrait l’eau et qui grandissait au fur et à mesure que j’avançai. J’ai fini par percer la surface à la verticale, comme une fusée, reprenant mon souffle d’un coup, en me brûlant la gorge. J’atterris en planche, claquant à la surface. Pendant quelques secondes, je me laisse couler à l’horizontale, comme ça. Mais pas pour longtemps, l’air qu’il me reste encore agit comme un flotteur, me ramenant en face du ciel. Un peu de bonheur dans ce monde de brute. Complètement détendue, je continue de nager vers la plage.

Mais soudain, tout va de travers. Je me sens transpercée de part en part. Une douleur revient, bien plus violente que toutes les précédentes réunies. Une impression que toutes les épées de la terre ont été plongées dans un feu puis plongées dans mon corps. Je m’arrête d’un coup dans ma nage. La douleur me cloue sur place. Entre deux spasmes de douleur, je prends une dernière respiration et me recroqueville sur moi-même. Alors c’est comme ça ? Je vais mourir noyée, foudroyée par une rechute ? J’avais raison d’avoir peur. Une phrase me revenait en tête, quelque chose que mon père me répétait souvent : « aie peur, si tu ne sais pas pourquoi, eux le savent ». Alors, j’avais eu raison d’avoir peur sans avoir conscience du pourquoi.

Ça fait quelques dizaines de secondes que je suis là, à essayer de contenir ma douleur sous l’eau. L’air commence à s’échapper de mes poumons. Tout doucement, je commence à toucher le fond. L’eau y est plus froide. Le sable y est glacé. Je ne vois plus la lumière du soleil au dessus. Je suis de nouveau dans ce tunnel lumineux. Et je sens le courant qui me porte lentement mais sûrement vers le bout de cette galerie. Je ne peux pas résister, toute à mes souffrances. Même dans ce monde à part, j’ai encore mal. Cette fois-ci, je ne peux pas écouter les bulles exploser à la surface. Mes poumons sont vides de tout air et je ne peux pas remonter à la surface. Je sens mon corps se faire écraser par la masse de l’eau. J’expulse les dernières bulles. Ma gorge me brûle, mais ce n’est rien comparé à la douleur qui scie le reste de mon corps.

Qui est mon cadavre, maintenant. L’eau sombre a disparu autour de moi. Il ne reste plus que le tunnel. Je n’ai plus mal du tout. Et je me dirige d’un pas serein, comme une petite fille en robe blanche, vers la porte qui se situe en face de moi. Je l’ouvre, et vois un miroir. Ce miroir renvoi l’image de ma famille, elle aussi habillée en blanc. Alors, je saute de joie et traverse le miroir d’un bond. Mais je ne vois qu’une silhouette devant moi. Seule et de dos. Mon futur est devant moi